Gregory Klimov. Berliner Kreml

Le Conseil De Controle

Le général Chabaline consulte sa montre avec irritation, puis ses regards examinent la vaste surface bétonnée de l'aérodrome.

– Combien devons-nous encore attendre?

Au loin évoluent des avions, mais aucun manifestement ne s'apprête à nous prendre. Le général frappe du pied et ne sachant comment calmer sa colère, s'en prend encore à moi:

– Klimov, je voudrais que vous m'expliquiez d'une façon intelligible ce qu'on vous a dit hier! Pourquoi n'avez-vous pas exigé un papier quelconque, un ordre signé par un chef?

Agacé, je lui réponds:

– C'est pourtant clair, on m'a dit: soyez demain matin 10 heures sur l'aéroport de Tempelhof, un avion spécial sera mis à votre disposition. Le chef de l'aéroport aura reçu des instructions!

Le général Chabaline rentre son large cou dans le col de son uniforme. Les mains derrière le dos, il va et vient sur le sentier bétonné sans regarder personne. Il crève de colère...

C'est dans l'après-midi d'hier que l'affaire a commencé. Chabaline m'avait appelé dans son bureau pour me communiquer une lettre provenant du Grand Quartier Général américain. Dans cette lettre il recevait invitation à participer à une conférence dont l'objet était la liquidation de la société industrielle I. G. Farbenindustrie. La réunion devait avoir lieu à Francfort-sur-le-Main. Après lecture de la lettre, le général m'avait dit:

– Prenez ma voiture et allez à Zellendorf, présentez aux Américains la liste de notre délégation et renseignez-vous sur le moment où nous pourrons disposer d'un avion. S'il n'y a pas d'avion, faites-vous délivrer un sauf-conduit afin que nous puissions utiliser des automobiles.

Lorsque j'arrivai au Grand Quartier Américain, il était 5 heures de l'après-midi. Je pensais perdre une heure pour obtenir le papier m'autorisant à pénétrer dans l'immeuble. Je pensais être questionné puisque je n'avais aucun document écrit motivant ma visite. Je regrettais même d'avoir laissé la lettre américaine dans le bureau du général et j'imaginais déjà devoir alerter un adjoint d'Eisenhower, pour me faciliter l'accès des services américains.

J'arrête la voiture devant la grille et sors mes documents. La sentinelle américaine s'approche. Cet homme au casque, au ceinturon de toile et aux guêtres blanches me fait le salut militaire de sa main gantée mais ne manifeste aucun intérêt pour examiner mes papiers. C'est moi le plus gêné; pour expliquer ma présence et celle de la voiture, je lui dis quelques mots. Mais toujours silencieux, il me désigna un écriteau ou figurent une flèche et le mot "informations".

Défiant, je pénètre dans le hall mais regarde par la vitre si je ne suis pas surveillé. Mon imagination va bon train, mais je crois être capable de trouver moi-même ce qu'il me faut, Je pense ainsi pouvoir mettre mon nez un peu partout et IIIe rendre compte de ce que sont ces Américains. Il me faut cependant agir avec prudence, ne voulant pas être mis en état d'arrestation. Il est vrai que je pourrai toujours dire que je6 m'étais égaré.

J'ordonne au chauffeur Micha de ne descendre sous aucun prétexte de sa voiture. Puis j'entre définitivement dans l'immeuble. Me voici dans de longs couloirs où toutes 1es portes sont ouvertes. Et il n'y a personne dans les bureaux! Par-ci, par-là, des femmes de ménage allemandes agitent leurs balais, sur chaque porte on a mis une carte: "Major un tel", "telles fonctions".

Mais Dieu tout-puissant! que se passe-t-il donc? Quelle anarchie! Dans nos services à l'étranger nous ne mettons jamais de carte de visite sur les portes, afin que l'ennemi ne puisse savoir du premier coup le nom de celui qui occupe la pièce. Alors qu'ici tout est exposé comme dans une vitrine de magasin.

En vérité je suis horriblement gêné, et même pris de peur. J'ai le sentiment de fouiller contre mon gré dans les fichiers secrets d'autrui et je crains qu'on ne vienne me surprendre. Je précipite donc de plus en plus le pas, cherchant la porte qui m'intéresse. Mais j'ai encore le sentiment de l'homme qui manipulerait les dossiers d'un grand Etat-Major ennemi.

Un de nos officiers m'avait dit un jour:

"II est inutile d'aller chez les Américains après dix-sept heures. Ils vont tous se promener avec des Allemandes ou vont au cinéma. Ils considèrent d'ailleurs le collègue qui reste dans son bureau après la fermeture comme un pauvre type puisqu'il n'a pu terminer son travail en même temps que les autres."

C'est à moi de me dire maintenant: "C'est donc vrai ce que me disait ce copain. Les Américains ne se fatiguent pas. Mon général à moi commence son travail à sept heures du soir! Et en avant marche! Mais comment vais-je me débrouiller? Il va te falloir demander le renseignement!...

Derrière les guichets des renseignements deux nègres sont vautrés dans des fauteuils. Ils ont posé les pieds sur la table et, d'un air inspiré, mâchent du chewin-gum. Laborieusement, je leur explique que je dois voir le général Clay. Sans interrompre ses graves occupations, l'un des nègres entr'ouvre un guichet et miaule quelque chose à l'interlocuteur invisible.

Si dans ce moment le président Truman, Staline ou le diable lui-même, muni de ses cornes, était à ma place, les deux nègres n'auraient pas daigné enlever les pieds de sur la table, ni déplacer le chewin-gum de la joue droite vers la joue gauche! Et malgré tout, malgré cet ahurissant spectacle, tout semble fonctionner normalement.

J'en suis d'ailleurs le témoin, puisque l'interlocuteur invisible, alerté par le nègre, a décroché le téléphone, pour, à son tour, miauler quelque chose. Quelques instants plus tard, un lieutenant américain est entré dans la pièce, s'est courtoisement présenté et m'a invité à le suivre.

Dans la salle d'attente du général Clay, une secrétaire est occupée à feuilleter des journaux illustrés. Je m'étonne qu'elle n'ait pas les pieds sur la machine à écrire. Mais cette pensée me gêne tellement que je vais me mettre en lieu sûr dans un autre coin de la pièce.

Je suis dans l'incertitude durant quelques minutes. Que dois-je faire? Garder le silence ou engager une conversation avec cette femme qui représente un pays allié? Mais la porte s'ouvre soudain et un petit militaire en sort comme un bolide. Il jette en courant quelques mots à la secrétaire et saisit au vol sa casquette. Je me dis: Clay doit être sans doute un homme très sévère, puisque les soldats qui sont sous ses ordres sont obligés de courir ainsi. Mais le petit militaire me serre déjà la main, prononce en rafale quelques mots anglais que je ne comprends pas. La voix de la secrétaire retentit dans mon dos:

– C'est le général Clay!

Ma surprise est telle que je n'arrive pas à me figer dans un garde-à-vous impeccable. Vainement d'ailleurs, le général s'est déjà évaporé. Ciel quel général! Tout ce que j'avais eu le temps de comprendre c'était O. K.! La secrétaire me tire d'embarras, en m'expliquant que Clay a donné en passant tous les ordres concernant ma venue. Ici, il est difficile de comprendre qui est général et qui est soldat: les soldats mettent les pieds sur la table et les généraux galopent comme des gamins! Alors que chez nous, avec leur plumage or et écarlate, ils sont reconnaissables à un kilomètre.

Un autre officier se montre et me crie d'entrer. Après mon contact avec le général Clay, je me hâte de regarder les galons. Pas de galons mais une étoile d'argent. Serait-il donc général? Enfin, tout semble ici à l'envers, un général porte des étoiles d'argent et un commandant des étoiles d'or!

Gardant une attitude strictement officielle le général américain ne me propose pas un siège, mais il ne s'assied pas lui-même. Il m'écoute donner l'objet de ma visite, puis après un petit signe de tête il abandonne la pièce. J'en profite pour examiner les lieux. Quelle modeste table à écrire! Et quelle modeste garniture. Peu de choses sur cette table: un jeu de crayons, une liasse de journaux. Rien de superflu. Lorsque mon général s'installa à Karlhorst, il fallut fouiller toute la ville et dans tous les dépôts pour trouver une table à écrire correspondant à sa dignité...

Le général américain revient quelques instants après. Ayant tout réglé sans doute par téléphone, il m'indique l'heure à laquelle un avion sera mis à notre disposition. Chez nous, pour obtenir pareille décision, il aurait fallu qu'un document fut établi muni de la signature de plusieurs généraux et de plusieurs visas. Les Américains se contentent de décrocher le téléphone! Quel peuple crédule!

L'Américain me dit en outre qu'il n'a nul besoin de soumettre à un contrôle préalable la liste des membres de notre délégation. Tout semble se passer en famille, sans contrôle d'une M. G. B. américaine. Et prenant congé, il me remet un dossier concernant la I. G. Farbenindustrie...

*

Me voici donc prêt à partir pour Francfort. Mais l'aéroport est toujours désert. Le sergent de service me fait comprendre cependant qu'ils est au courant de tout. Il à de longues conversations téléphoniques pour nous déclarer que notre avion aura du retard. Est-ce que pour des raisons inconnues les Américains chercheraient à retarder notre départ? Je suis sûr que le général Chabaline pense déjà à un acte de sabotage.

Non loin de nous travaille un soldat américain. II me dévisage avec bienveillance et curiosité, cherchant visiblement un prétexte pour engager la conversation. Il meurt d'envie de bavarder avec un officier russe. Les premiers jours de la victoire les soldats américains se conduisaient avec nous comme des enfants débarqués dans une peuplade inconnue.

Le soldat sourit jusqu'aux oreilles et me montrant du doigt un avion, me dit:

– S-47.

J'approuve de la tête, mais je déclare d'un ton sentencieux:

– Douglas.

Mais le soldat continue à gesticuler:

– S-47! Sikorsky... Russian Constructor...

Est-ce possible que ces avions soient construits par Igor Sikorsky, pionnier de l'aviation russe du temps de la guerre impérialiste, créateur jadis des "Ilia Mourometz", nos premiers avions à moteur? Son nom n'est pas oublié en Russie. Et tout le monde sait chez nous que, de même que l'as de l'aviation, Boris Seversky, Igor Sikorsky travaille comme constructeur en Amérique. Mais lorsque j'étais à bord d'un Douglas, je ne pensais pas que ces avions étaient les enfants de notre grand compatriote. Ce n'est point la Pravda qui m'aurait renseigné...

Mais le soldat m'a décidément pris en amitié. Abandonnant son travail, il est venu près de moi me faire une démonstration de sympathie. Il me désigne d'abord son bracelet-montre, lève un doigt vers le ciel, puis, ayant imité d'un geste expressif l'atterrissage d'un avion, de son pouce il me désigne 1e sol. Il semble être très habitué à ce mode de conversation. Les seuls mots qu'il prononce sont "le Général Eisenhover". Et comme s'il venait de me parler d'un de ses copains, il ajoute flegmatiquement: OK.

Je crois comprendre que le généralissime va atterrir ici dans quelques minutes. C'est donc à cause de cela que notre départ est retardé.

Pendant ma conversation spectaculaire avec l'Américain, un avion s'est posé sur le terrain. Il en descend un groupe de petits vieux qui s'éparpillent sur le terrain, semblables à des enfants qu'on aurait lâchés sur une pelouse. Ils ont aperçu le général Chabaline et l'entourent joyeusement. Ils lui serrent tous la main, et leur visage exprime une telle satisfaction qu'on penserait volontiers que ces hommes ont traversé l'Océan pour ne rencontrer que le général Chabaline.

Ce dernier subit la contagion de cette bonne humeur, se met à sourire, à gesticuler et à secouer fortement des mains à droite et à gauche... Mais un membre de notre délégation, le lieutenant-colonel Orlov découvre bientôt que ces joyeux vieillards sont un groupe de sénateurs américains qui vont à Moscou par la voie des airs. Il murmure ce renseignement au général, mais trop tard! Chabaline a déjà échangé des poignées de main avec les adversaires les plus acharnés du régime communiste. Il a dû redouter plus tard la paralysie de cette main...

Autour de nous, claquent les appareils de photographes. Les petits sénateurs posent volontiers devant eux, en tenant mon général par la main. Toute retraite est impossible, il doit accepter d'être photographié en compagnie compromettante! Il doit accepter aussi de sourire par-dessus le marché! Mais ce sourire ressemble à une grimace de condamné à mort. Car Chabaline est maintenant convaincu que tous ces documents vont aller enrichir les dossiers des services de contre-espionnage étrangers. Mais également les dossiers des chefs de la MGB! Bien des tracas en perspective!

Après cette séance de photographie, un commerce suspect commence autour de moi. Les soldats de l'aéroport mettent dans les mains des sénateurs des billets de banque d'occupation tout neufs. Mais mon ami le soldat américain vient dissiper mes soupçons en brandissant sous mon nez un billet de banque bleu et rouge recouvert en tous sens de signatures.

Celles de Truman, Eisenhower, Joukov et autres célébrités Singulière façon de collectionner les autographes, mais qui semble de mode sur cet aérodrome. Quant à mon général, il a refusé catégoriquement de donner sa signature. La prudence est mère des vertus. Il s'est déjà assez compromis...

Non loin de moi, le commandant Kouznetzoff, incrédule, questionne le lieutenant-colonel Orlov:

– Ce sont vraiment des sénateurs?

– Oui, des sénateurs de la plus mauvaise espèce! La commission politique du Sénat!

– Ils ressemblent pourtant peu à des capitalistes. J'ai eu l'impression qu'ils devaient avoir des trous à leurs chaussettes! insiste l'incrédule Kouznetzoff.

– L'apparence est trompeuse, camarade commandant. II? ont un aspect inoffensif, mais leurs poches sont remplies de millions! Ah les requins!

Car aux yeux du lieutenant-colonel Orlov, avoir de l'argent dans sa poche est un péché mortel. Car le lieutenant-colonel Orlov est communiste et ne s'écarte jamais de la ligne générale du parti.

– Il y a cependant quelque chose qui m'étonne! dit Kouznetzoff. Ces hommes-là sont au fond les maîtres des Etats-Unis. Mais leur maintien reste très simple. Si l'un de nos ministres...

Les propos de Kouznetzoff sont interrompus par l'arrivée de nouveaux personnages. Des limousines officielles franchissent l'entrée de l'aéroport et se dirigent vers nous. Un groupe d'officiers soviétiques en descend. Ce sont tous des généraux.

– Eh bien, nous voici dans une drôle d'histoire, murmure Kouznetzoff. C'est le maréchal Joukov lui-même qui arrive avec son Etat-Major! Allons nous planquer quelque part...

Chabaline est vraisemblablement du même avis. Mais son uniforme lui interdit toute cachette.

La situation s'arrange sans drame. Ce sont les vieillards optimistes qui vont nous sauver. En criant de loin "hello" au maréchal Joukov, en distribuant des poignées de main cordiales, en tapant amicalement sur le dos de nos généraux, ils arrivent à rompre le caractère officiel de la cérémonie et à créer un climat bon enfant. Les conditions sont devenues telles que l'homme le plus mélancolique se mettrait lui aussi à vociférer hello!

Le maréchal Joukov est un homme trappu, au menton proéminent et volontaire. Il a des manières exceptionnellement simples. Il semble ne prêter aucune attention à l'agitation qui règne autour de lui et attendre le moment où l'on abordera enfin les choses sérieuses.

Joukov fait comprendre par toute son attitude qu'il n'est qu'un soldat. C'est tellement rare dans la corporation que cela vaut d'être noté...

L'aérodrome commence manifestement à s'animer. Voici qu'apparaissent les détachements de la Military Police en grand uniforme. Un bataillon de garde d'honneur forme ses rangs. Le personnel de l'aérodrome s'agite.

Un avion quadrimoteur atterrit sans bruit. Les amateurs d'autographes seront déçus, car d'une manière à peine perceptible et extrêmement rapide, le terrain d'atterrissage est déjà entouré d'une double haie de soldats. Le commandant Kouznetzoff jette un coup d'oeil:

– C'est du beau travail! Regarde donc ces gaillards! Ils ont dû être recrutés parmi les gangsters!

Le premier rang est en effet composé de soldats aux formes athlétiques; C'est très impressionnant. Ces hommes ont une expression sombre mais ils sont tous bien rasés et méticuleu-sement habillés. On dirait des boxeurs ou des cow-boys en uniforme. Le second rang de ces soldats est motorisé. Mais avec leurs motocyclettes, ils font un vacarme plus grand que celui des avions.

– Ce sont des soldats qui me plaisent, continue Kouznetzoff d'un ton rêveur. Personne n'oserait leur arracher les boutons!

Le général Eisenhover a son large sourire habituel. Il vient serrer la main au maréchal Joukov. Dans la réalité, les grands hommes sont toujours beaucoup plus simples que dans les pages des journaux et des revues. Ayant signé deux ou trois autographes, Eisenhower demande d'un ton enjoué s'il y a dans les environs un lieu où l'on puisse déjeuner; et il invite le maréchal Joukov à venir avec lui.

Un général de brigade américain, qui désire sans doute nous tirer d'embarras, s'approche du général Chabaline. L'Américain s'adresse à mon chef dans un russe d'une pureté extraordinaire. Quelqu'un lui ayant dit que nous voulions partir pour Francfort, il nous offre ses services. C'est peut-être un émigré qui a quitté la Russie, il y a trente ans, car son langage est demeuré tel qu'il était autrefois en Russie.

Le nôtre s'est modifié suivant les bouleversements politiques et sociaux. Nous utilisons maintenant une sorte de jargon fait de néologismes. Le général américain, ex-émigré, parle le langage qui nous paraît momifié, de la vieille Russie. Grâce à cette intervention inattendue, nous décollons enfin. Je communique à Kouznetzoff, toujours souriant, mes impressions. Car nous ignorons pourquoi Eisenhower se rend à Moscou. Aucun communiqué n'a paru dans la presse soviétique. Chabaline, lui, paraît vexé de ne rien savoir. Mais, prudent, il ne dit mot.

Lorsqu'une semaine plus tard je me trouve dans le bureau du général Chabaline, ce dernier me dit brusquement:

– Savez-vous pourquoi Eisenhower est allé à Moscou? Je réponds prudemment:

– Eisenhower a sans doute assisté à la récente revue en qualité d'invité d'honneur?

– Oui, chez nous on sait recevoir les visiteurs illustres, confirme Chabaline avec un sourire satisfait. On a fait goûter à Eisenhower une vodka tout à fait extraordinaire. Après l'avoir bue, il a chanté tout le reste de la nuit. Il a même esquissé quelques pas de danse en tenant par la taille 1e maréchal Budienny. On extrait toujours ce vieux Budienny de son frigidaire chaque fois que l'on a besoin de créer un climat pittoresque!...

Puis, me recommandant le silence, Chabaline porte un doigt aux lèvres. Il est clair d'ailleurs qu'il n'en sait pas davantage.

*

Un matin comme les autres nous sommes en plein travail dans nos bureaux de Karlhorst. Deux officiers américains arrivent qui s'approchent de l'aide-de-camp de Chabaline.

Le plus âgé s'avance tête nue ayant mis son bonnet de police dans la poche arrière de son pantalon. Puis se présentant dans le russe le plus correct:

– John Yablokov, capitaine de l'armée américaine. Le commandant Kouznetzoff qui tient à faire de l'esprit jette un regard sur la tête nue de son interlocuteur et répond:

– J'ai l'honneur de vous saluer, John "Yvanovitch", how do you do?

Le John "Yvanovitch" américain n'a sans doute pas froid aux yeux. Remarquant le sourire narquois du commandant, il précise sans se troubler:

– Je sais qu'en russe on dit: "ne porte pas la main à ta tête si elle est vide". Mais les usages de notre armée sont différents.

Le capitaine Yablokov est venu apporter officiellement au général Chabaline l'invitation de prendre part à la réunion du Conseil de Contrôle interallié. Le général Chabaline tient depuis quelques minutes le texte de l'invitation et l'ordre du jour de la réunion. Mais ne voulant pas qu'on s'aperçoive que ces documents sont pour lui de l'alphabet chinois, il lève les yeux sur ses visiteurs et demande:

– Alors, quoi de neuf chez vous? L'officier qui accompagne Yablokov répond également en russe:

– Notre chef, le général Dreyper, a l'honneur de vous inviter... Il s'arrête en cherchant l'expression russe correspondant au mot "réunion" mais, ne trouvant pas, il traduit textuellement: "...vous inviter à un meeting, monsieur le général"...

Dès qu'il entend ce mot meeting, familier à son oreille, Chabaline se sent à l'aise. Car si l'anglais lui est inconnu, le langage stalinien fait son affaire. Jetant sur les deux Américains un regard olympien, il prononce lentement et sentencieusement:

– Il faut travailler et non pas se promener dans des meetings!

C'est là une des phrases préférées de Staline. On s'en sert souvent en URSS pour stimuler le zèle des fonctionnaires du parti. Mais dans la circonstance, cette phrase est nettement ridicule. Pourtant, notre général, fidèle à sa règle, pense qu'une maxime stalinienne ne peut, en aucun cas, faire du mal.

Dans mon coin, je me tords de rire. Chabaline qui a pris son élan va sans doute donner aux deux Américains un cours de morale communiste. Il faut pourtant que j'intervienne, car je suis là pour ça. Lorsqu'un général soviétique est en contact avec des étrangers, le rôle de l'interprète est de contrôler la conversation et de dénoncer les éventuelles perfidies des interlocuteurs capitalistes.

Mais cette fois Chabaline est tellement séduit par son rôle de pédagogue, qu'il ne semble pas décidé à me laisser l'interrompre. Et chaque fois qu'il se lance sur un mauvais sujet, il est furieux que je tente de l'arrêter. Plus tard, lorsqu'il aura réalisé sa gaffe, il hurle:

– Alors Klimov, vous vous taisiez naturellement!

– Tout cela n'a pas d'importance, camarade général. Eux, s'ils veulent, ils iront au meeting... et nous, eh bien! nous travaillerons.

Contrairement à mon espoir, le général Chabaline n'insiste pas. Nous réglons toutes sortes de questions secondaires, pendant que les deux Américains, remontant dans leur Chevrolet, s'en vont. Le commandant Kouznetzoff résume:

– Ces deux gaillards sont des Russes comme nous! On pourrait s'y méprendre! Surtout s'ils ne portent pas leurs moustaches à la Douglas Fairbanks... Mais Chabaline le rappelle à l'ordre:

– Il suffit d'un coup d'oeil pour voir de quoi ils sont faits! Des Russes d'Extrême-Orient! Des espions!

Sur le moment je ne comprends pas très bien ce que Chabaline a voulu dire. Mais j'ai un jour l'occasion de constater que Chabaline a eu le temps de se renseigner sur le curriculum vitae de chacun de ses futurs collègues, y compris, bien sûr, les Américains. Car, plus tard, dans une conversation très amicale et très franche, Yablokov me dira qu'il avait servi dans les services d'espionnage américains en Chine. Je suis sûr que pour lui cette confidence n'avait pas la valeur d'un secret d'Etat. Un officier soviétique faisant la même, c'était l'accusation de haute trahison. Différence d'éducation et de mentalité.

Nous nous rendons bientôt à la première réunion du Conseil de Contrôle interallié. Pour ce faire, Chabaline a pris une expression résolue et secrète. Attention Oncle Sam! Attention, les Occidentaux!

Le Conseil de Contrôle siège dans l'ancien Palais de Justice situé dans la Eishoizstrasse. Dans la salle de réunion, les premiers délégués arrivent à peine. Je crains d'avoir des moments difficiles sur le plan professionnel, car je ne suis pas très calé en anglais et je suis le seul interprète. Lorsque J'ai prévenu Chabaline il m'a répondu, imperturbable:

– Vous devez savoir l'anglais! Cette réponse retentit comme un slogan du parti. Avant que ne commencent les délibérations, c'est la langue allemande qui va me sauver, car elle a cours parmi les Alliés. Chacun la baragouine tant bien que mal. C'est donc en allemand que je m'entretiens aussitôt avec les délégués anglais et français. Chabaline s'en étant aperçu, il me chuchote d'un air menaçant:

– Attendez un peu, commandant, vous perdrez bientôt l'habitude de simuler! Vous me racontiez des sornettes sur votre incapacité de parler en anglais, mais je constate maintenant que non seulement vous parlez anglais mais aussi français!

Peine perdue d'essayer de me justifier aux yeux de Chabaline. Mais que va-t-il m'arriver si je me déclare incapable d'écouter les interprètes français? Je suis soulagé en constatant que les délégations de Grande-Bretagne et des Etats-Unis disposent d'excellents interprètes du russe.

Un autre problème me chagrine, c'est mon équipement. On aurait pu croire en me voyant que j'avais parcouru le chemin de Stalingrad jusqu'à Berlin en rampant sur le ventre. Chabaline m'avait toisé des pieds à la tête avant de monter dans la voiture:

– Vous n'avez pas été capable de trouver des loques encore plus moches que celles-là?

Mais sans en dire plus long, nous nous sommes très bien compris. Chabaline sait fort bien qu'en quittant Moscou, j'ai laissé tout mon bel équipement en réserve pour habiller un peu ma famille qui n'avait absolument rien à se mettre sur le dos. Tous nos officiers se rendant à l'étranger font de même. Personnellement, je savais qu'une fois arrivé à Berlin j'obtiendrais un rutilant équipement étranger. Seulement, j'avais mal calculé mes actes. Et aujourd'hui, je suis oblige de me rendre à une séance du Conseil de Contrôle avec mes loques!

Près d'une fenêtre je bavarde avec le général Sergent, chef de la délégation française, mais la conversation ne roule que sur la pluie et le beau temps. Chabaline m'observe sans relâche bien qu'il ne comprenne pas une seule langue étrangère. Soyons prudent quand même. Et après tout, qui sait7 Ce général français est peut-être un communiste, malgré son aspect rassurant? Dans ces démocraties d'Occident, le Diable lui-même ne parvient pas à y voir clair!

Je ne suis pas seul à craindre quelque chose.

La séance commence exactement à 10 heures. Tout se passe d'ailleurs fort bien. On discute des méthodes de travail de la direction économique, de l'ordre des réunions et de l'alternance de la présidence. Tout le monde est d'accord par ordre alphabétique. C'est le chef de la délégation américaine qui préside. Et il propose de mettre à l'ordre du jour un problème concret: "Elaboration des principales directives concernant la démilitarisation économique de l'Allemagne."

En présence d'un tel problème, Chabaline ne pense plus au meeting et, retroussant ses manches, il se met au boulot. Les interprètes doivent traduire le terme: "élaboration des lignes directrices de la démilitarisation économique". Nous voilà en plein dans les subtilités linguistiques du texte anglais, le terme "lignes directrices" est exprimé par le mot "politics". L'interprète traduit textuellement en russe: "politique", bien que ce mot plus abstrait que "lignes directrices" ne soit pas tout à fait correct.

En entendant le mot "politique", Chabaline sursaute comme s'il venait d'être piqué par un serpent:

– Que vient faire la politique ici? Tout a été décidé à la conférence de Postdam! Le général Dreyper acquiesce courtoisement:

– C'est tout à fait exact, tout a été décidé. Mais maintenant nous devons exécuter les décisions prises. Et c'est pourquoi il nous faut élaborer les principales directrices.

L'interprète anglais et l'interprète américain qui traduisent les mots de Dreyper s'efforcent de liquider l'incident. Mais sans la moindre mauvaise intention, ils traduisent derechef le terme "lignes directrices" par le mot "politique".

Chabaline devient furieux:

– Aucune politique! Cessez cette pression psychologique!

Et c'est ainsi qu'à cause de ce malheureux mot, deux fois employé par les interprètes, nous discuterons dans le vide pendant des heures.

Personnellement je m'explique très bien les mobiles de mon chef. Dans les milieux économiques interalliés, j'avais déjà entendu dire plusieurs fois que les décisions, prises à Potsdam, étaient considérées à Moscou comme la plus grande victoire de la diplomatie soviétique. Toutes les instructions qui nous parvenaient depuis, soulignaient invariablement l'mportance de ce grand succès.

La diplomatie soviétique avait su obtenir des avantages qui dépassaient de loin les plus téméraires espérances des dirigeants de notre pays. Tout cela était né de l'ivresse de la victoire et du désir sincère de nos Alliés d'Occident de récompenser la Russie pour ses efforts guerriers et pour ses pertes colossales. Peut-être aussi ces concessions démesurées avaient-elles été faites pour une autre raison:

les deux partenaires de Staline à cette conférence étaient le major Attlee et le Président Truman, personnages parfaitement ignorants des méthodes soviétiques.

Toujours est-il que les accords signés à Potsdam livraient pratiquement l'Allemagne à l'URSS. Mais certaines clauses étaient très nuancées, et donnaient lieu à diverses interprétations. Notre rôle à nous était de profiter jusqu'au bout de toutes ces décisions inconsidérées.

– Aucune politique répète mon général. Et je devine qu'il est sur le point de laisser échapper l'ultime cri d'angoisse:

"On dirait que vous insistez sur votre mot politique pour me faire déporter dans le grand nord Sibérien!"

Pendant que se poursuit l'altercation, c'est avec curiosité que j'examine tous les assistants. Je dois avouer qu'ils font preuve d'une patience angélique. A chaque rencontre avec nos Alliés Occidentaux, une singularité me trouble: les Occidentaux voient en nous des soldats victorieux pleins de mérites, alliés sincères dans la guerre et dans la paix. Et pour nous juger, se placent sur le plan national.

Quant à nous, nous abordons nos alliés toujours comme des adversaires. Nous voyons en eux des ennemis avec lesquels, pour des considérations de tactique momentanée, nous sommes obligés de siéger devant une même table. Car, pour nous, seul compte le point de vue idéologique.

Nos Alliés s'imaginent que Karl Marx et Lénine sont morts. Quelle erreur! Leurs ombres se tiennent derrière nos fauteuils, dans toutes les salles de conférences. Tant pis pour les Alliés et tant mieux pour nous!

Outre que chaque délégation représente les intérêts de son pays, elle y révèle un autre caractère. Chaque délégué est en effet un spécimen pittoresque et typique de son peuple, tant au point de vue physique qu'au point de vue intellectuel.

Voici par exemple le général William H. Dreyper, chef de la délégation américaine. C'est un homme d'âge moyen, qui, néanmoins, fait encore très jeune. Silhouette de sportsman. Visage osseux et hâlé, vif et énergique. Quand il rit, une puissante denture qu'on dirait de loup, apparaît sous ses moustaches brunes. Le gaillard n'a pas froid aux yeux. Même quand il ne préside pas, il met son empreinte sur la réunion. Tout en lui respire l'énergie saine propre à une jeune nation qui commence à accomplir son destin.

Je ne sais combien de millions de dollars tintent dans les poches de William H. Dreyper. Mais je sais qu'en parlant entre nous de l'Américain, Chabaline s'exclame fréquemment: "Hou, le millionnaire! Hou, le requin!" Je ne sais qui a renseigné mon général? Peut-être son idéologie, peut-être aussi notre service d'espionnage.

Sir Percy Mills est le chef de la délégation anglaise. Il semble apporter avec lui le brouillard de la Tamise et les ombres de Trafalgar Square. II porte un grossier uniforme de soldat sans aucune décoration. Mais il doit faire autorité en économie politique, car tous les assistants l'écoutent avec une attention particulière. Le général Chabaline prétend que Sir Percy Mills est dans le civil un des directeurs de la Métropolitan-Vickers.

Sir Mills a la peau du visage bleuâtre à force d'être rasée. Lorsqu'il juge utile de sourire, seul les lourds plis de sa bouche remuent. Ses yeux continuent à regarder les documents et ses oreilles à suivre attentivement les propos de ses adjoints. Autour de la table du Conseil de Contrôle, on perçoit nettement les modifications qui se sont produites dans la vie des grandes puissances mondiales.

La Grande-Bretagne a joué son rôle, c'est l'Angleterre seule qui demeure aujourd'hui. Et dans la personne de Sir Percy Mills, cette Angleterre de l'après-guerre travaille avec ténacité en écoutant attentivement les propos de sa jeune partenaire, et concurrente victorieuse, l'Amérique.

Et voici la France. Reflet de la beauté qui illumina jadis l'Europe, oui, reflet. Un reflet, pas plus! Je les contemple ces héritiers de Bonaparte et de Voltaire, ces contemporains de Jean-Paul Sartre, tout est vraiment dans le passe... Le général Sergent a adopté le seul parti possible. En appelant à son aide l'ombre de Talleyrand, il essaie de manœuvrer avec subtilité. Il se met du côté de l'Occident, mais en formulant des réserves. Et s'il se hasarde à contredire l'Orient, il ne pousse pas à fond...

Le grand allié de l'Est est présent dans la personne du général soviétique Chabaline qui tremble de peur quand on prononce le mot politique, et dans la personne du commandant Klimov, qui cumule les rôles de secrétaire, d'interprète et de conseiller technique. Nous nous sommes présentés frais et insouciants à la première séance parce que nous étions armés, bardés même de la dialectique communiste...

Mais dès que je fus en présence des nombreuses et fort compétentes délégations étrangères, je ne me sentis pas a mon aise. J'avais cru naïvement que nous étions là pour travailler et que des décisions importantes allaient être prises. Ce n'est que plus tard que je compris pourquoi la délégation soviétique aurait pu être réduite à un seul homme. Oui, à un seul homme, un simple facteur aurait suffi...

A l'ouest, rien de nouveau! Les forces réunies des alliés capitalistes insistent sur le mot "politique". Depuis trois heures, tel un automate, le général Chabaline répète:

"aucune politique"! Pour faire triompher sa thèse, il brandit un journal où se trouvent soulignés au crayon rouge des passages. Puis les hommes d'Occident, eux aussi, ont sorti des journaux et confrontent les textes.

Voir une fois ce spectacle, cela vaut une opérette. Mais y venir chaque semaine, me semble bien dangereux pour le système nerveux.

Les délégués commencent à consulter leur montre avec insistance. Les ventres d'Europe occidentale sont habitués à l'exactitude. Le général Chabaline est excédé. Et sur un ton officiel, il demande:

– Où voulez-vous en venir? Voulez-vous me violer? Les interprètes se penchent avec stupeur, ils pensent avoir mal entendu. Puis, ne sachant pas s'il s'agit d'une plaisanterie ou d'une chose sérieuse, ils demandent:

– Faut-il traduire textuellement?

– Traduisez textuellement.

Je jette un regard furtif sur la jolie secrétaire du général Sergent. Que peut penser une Parisienne en écoutant les plaisanteries soviétiques?

Sir Percy Mills fait semblant d'être gai. Le général Dreyper qui préside se lève:

– Je propose de lever la séance, allons déjeuner. J'ignore s'il a vraiment faim, ou s'il a voulu rompre momentanément avec la diplomatie soviétique. Toujours est-il que chacun respire avec soulagement en quittant la salle.

Nous sommes les grands vainqueurs de la journée. Nous avons gagné une semaine. Plus loin, on verra. Ce soir le général Chabaline téléphonera à Moscou et trouvera au bout du fil le camarade Mikoyan... Car pendant que nous sommes à nos meetings, le Comité Soviétique pour le démontage de l'industrie allemande et la Direction des Réparations de guerre du général Zorine sont à pied d'œuvre. Et les Alliés seront placés devant le fait accompli.

*

Durant la guerre, à Gorki comme à Moscou, j'avais rencontré parfois des Américains et des Anglais. Mais je n'avais aucun motif officiel d'entrer en contact avec eux. Et, sans une autorisation de la NKVD, toute conversation, même brève et futile, avec un étranger est, en URSS, un acte de folie. A ce sujet, il n'existe aucune interdiction officielle, mais si quelqu'un donne du feu dans la rue à un étranger, il est convoqué le jour même à la NKVD pour y subir un interrogatoire.

Pour empêcher ces contacts, le Kremlin entretient la légende que tous les étrangers qui viennent en URSS sont des espions. Donc ceux qui prennent contact avec des espions peuvent être soupçonnés d'être des confrères.

L'épouvante et l'angoisse sont les principales armes de l'éducation des masses qu'elles hypnotisent. L'épouvante et l'angoisse sont le 14e membre du tout-puissant Politburo. Il pèse sur les 13 autres membres. Mais les jours passent et je m'habitue à cette vie nouvelle. Le travail a beau être long et stérile, j'y trouve un enseignement fort utile.

Ce matin. Sir Percy Mills, qui a levé la séance, vient d'inviter tous les délégués à déjeuner avec lui. Sans me donner aucune instruction, le général Chabaline monte dans la voiture de son collègue anglais. Je saute dans l'auto de mon chef et ordonne à Micha de suivre celle de Sir Percy Mills. Après une demi-heure de route, les voitures s'arrêtent devant une villa. C'est là que va commencer mon calvaire, sans doute incompréhensible aux Occidentaux.

Tous les invités laissent leurs casquettes et leurs serviettes dans l'antichambre. Une servante prend ma casquette et avec empressement veut me débarrasser de mes documents. Je suis alors étreint par une véritable angoisse, car j'ai sous le bras le célèbre classeur rouge du général Chabaline. Il ne contient aujourd'hui aucun document extraordinaire, de simples procès-verbaux...

Mais laisser le classeur dans la voiture, le règlement l'interdit. Laisser le classeur rouge dans l'antichambre, comme font tous les autres? Ce serait un crime contre la sûreté de l'Etat, qui me vaudrait la Cour martiale. Traîner le classeur rouge dans le salon? Ce serait vraiment ridicule... Le général Chabaline vient trancher la question. Il siffle à mon oreille:

– Que foutez-vous ici, commandant? Partez et attendez-moi dans la voiture.

Le cœur soulagé je me retire, suivi par les regards étonnés de mes collègues étrangers. Abrité dans la voiture, j'allume une cigarette. Mais quelques minutes après, un officier anglais, aide de camp de Sir Mills, apparaît devant moi et me prie de rentrer. Je suis sans doute compris dans la liste des invités. Je tente de refuser, prétextant n'avoir pas d'appétit, mais l'officier anglais a l'air profondément étonné et il ne me reste plus qu'à le suivre...

Lorsque je pénètre dans le hall où les invités sont réunis en attendant le moment de passer à table, Chabaline me regarde de coin, mais garde le silence. J'apprends plus tard que le maître de maison a sollicité de Chabaline son consentement avant de m'envoyer chercher. Ce n'est pas par hasard que les Anglais sont considérés comme les meilleurs diplomates du monde. Je m'approche de Chabaline et lui colle dans les mains son classeur rouge. Je venais d'imaginer cette solution!

Et près d'une large fenêtre s'ouvrant sur le jardin, je bavarde avec le commandant Bader. C'est un véritable fauve des pays coloniaux. Ses cheveux couleur de sable semblent brûlés par le soleil. Sa peau est tannée. Et ses yeux sont d'une vivacité extraordinaire. D'après Chabaline encore, cet homme n'est pas autre chose qu'une vedette de l'espionnage international. J'ai donc l'honneur d'un tête à tête avec une personnalité d'envergure. Et nous conversons dans un jargon anglo-allemand.

Le regard inquisiteur de mon chef ne me quitte pas un instant. Il est sans doute dévoré par un soupçon. Il pense que l'Anglais est en train de me recruter pour son service secret. L'agitation de Chabaline atteint son paroxysme, lorsqu'une servante portant un plateau s'approche de nous. Bader prend un petit verre de whisky, je l'imite. Mais pour calmer l'angoisse de mon chef je profite d'un moment où Bader tourne la tête pour jeter le contenu de mon verre par la fenêtre. Pour faire plaisir à Chabaline, te voici, Klimov, devenu le héros d'un vulgaire roman policier!

Un certain bonhomme Kourmachev fait aujourd'hui partie de notre délégation. Il est chef de la Section des combustibles et des centrales électriques. Je ne sais pour quelle raison Chabaline le traîne derrière lui, car l'ordre du jour ne concernait en rien les combustibles des centrales électriques.

Mais Chabaline se donne ainsi plus d'importance. Le malheureux conseiller est tapi dans le fond de son fauteuil. Rentrant le cou dans ses épaules, il ne sait que faire de ses pieds et de ses mains. Lorsque le maître de maison lui adresse par courtoisie quelques mots, Kourmachev tressaille et jette involontairement un regard vers la salle à manger. On dirait que le conseiller attend que vienne de là le salut. Il essuie son front couvert de sueur. Pauvre homme.

Certes, il aurait bu volontiers un ou deux petits verres de whisky en bavardant avec ses voisins, quitte à s'expliquer avec l'aide de ses doigts. Mais Kourmachev sent qu'ici il n'est pas un homme comme les autres. Il incarne le système communiste. Voyant que je l'observe, il se rengorge comme un dindon... Heureusement pour lui, nous passons à table. Le général Chabaline est placé à droite du maître de maison, avec lequel il engage une conversation à l'aide d'un interprète. Mon chef a un sourire figé sur les lèvres.

Deux ou trois fois, un rire bruyant sort de sa poitrine. Mais il ne fait rien pour entretenir un dialogue qui tombe à tout moment. Que doivent penser de lui les Anglais? Il est difficile de parler aux Russes non seulement devant une table de conférences, mais même devant une table chargée de victuailles. Les Russes de jadis avaient donné aux Anglais le surnom de "front dur", maintenant les rôles sont inversés!

Je suis assis de l'autre côté de la table entre le commandant Badér et l'aide de camp de Sir Mills. Chaque fois que je lève les yeux, je rencontre ceux de mon chef. Mais plus le repas avance, plus Chabaline semble perdre son armure bolchevique. Il lève même un toast en l'honneur du maître de maison, tout en jetant des regards chargés de soupçons.

Je réalise pour la première fois combien tout cela est ridicule et triste. Je sais bien que du fait de sa fonction et de son grade, le Général est chargé de me surveiller. C'est dans l'ordre des choses. Mais je sais aussi que tout en me surveillant, Chabaline regarde si je ne le surveille pas à mon tour! Et j'achève le repas sur cette réflexion: Kourmachev se méfie du Général, le Général se méfie de moi et moi je finis par me méfier de moi-même...

Cette psychose augmente au fur et à mesure que l'on gravit les échelons de la hiérarchie soviétique. Si bien que le plus obsédé par cette psychose est le créateur lui-même de ce système génial et salutaire.

Après le repas, tout le monde se retrouve dans le salon. Le commandant Bader s'approche de moi, plein de cordialité, en m'offrant un luxueux cigare. Mais au même instant Chabaline me fait un signe de la main. Je m'excuse auprès du commandant anglais et ayant jeté mon cigare dans un pot de fleurs, je suis le général. Nous descendons dans le jardin, faisant mine de vouloir prendre un peu l'air. Mon chef bougonne sans me regarder:

– De quoi parliez-vous avec cette espèce de...

– Nous parlions de la pluie et du beau temps, camarade général.

Mais Chabaline, changeant de ton, me dit:

– Je pense que votre présence ici devient superflue. Vous pouvez disposer de la journée. Prenez mon auto et baladez-vous dans Berlin. Allez donc voir un peu les filles...

Que signifie cette sympathie brusque et suspecte?

– Et faites dire à Kouznetzoff que j'irai d'ici directement à la maison, conclut Chabaline en remontant les marches du perron.

Donc le général ne reviendra pas aujourd'hui dans son bureau. Il ne se soumettra pas au devoir quotidien de veiller dans son fauteuil jusqu'à trois heures du matin. Après ce somptueux repas et ces coupes de bon vin, le général a dû éprouver le besoin de se sentir durant encore plusieurs heures un homme comme les autres.

II veut sans doute abandonner son masque de bolchevik invulnérable; il veut pouvoir rire et taper sur l'épaule de son interlocuteur en disant ce qui lui passe par la tête. Lui qui n'est ordinairement qu'un matricule du parti, veut pouvoir être un "homme libre". Et ce qui pouvait gêner ce désir, c'est ma présence. Car dans l'esprit de Chabaline, je ne puis être que l'œil et l'oreille du parti.

Rentré dans la villa je prends ma casquette et retrouve le chauffeur Micha roupillant dans la voiture. Je suis obligé de le secouer un long moment:

– Oh, camarade commandant, murmure-t-il en ouvrant difficilement les yeux, après un tel gueuleton il faut dormir au moins trois heures... La tête dans le foin!

– Comment, toi aussi, tu as mangé?

– Mais bien sûr, répond Micha avec orgueil, j'ai même bouffé comme un prince.

– Mais où?

– On est venu m'appeler. Une table élégante était servie. Il y avait une nappe toute propre. Je dois même vous dire camarade commandant, que le général n'a sans doute pas mangé aussi bien que moi.

Nous roulons quelque temps en silence. Je me sens soudain fort triste. A mes côtés Micha murmure:

– Est-il possible que les soldats anglais soient nourris comme ça?

A cette question je ne peux rien répondre. Mais ayant vu la demeure de Sir Percy Mills, je puis la comparer avec celle du général Chabaline...

Une coutume s'est établie dans le Conseil de Contrôle: chaque directeur invite à tour de rôle ses collègues de la Direction Economique. Lorsque le tour de Chabaline est venu pour la première fois, il a préféré s'abstenir. On a cru a un manque d'usage ou à une distraction. En réalité, le général ne savait pas où et comment recevoir des étrangers.

Théoriquement Chabaline a le droit et la possibilité de réquisitionner une demeure et de la meubler luxueusement. Mais il n'ose prendre lui-même cette initiative, la laissant éventuellement au général Deminov, chef de l'économat, lequel n'ose prendre cette même initiative puisque dans aucun règlement il n'est dit que les généraux doivent être installés luxueusement.

Si bien que Chabaline s'est logé au début de son séjour dans un petit cottage. Ensuite, il a cru préférable de se loger dans l'immeuble ou habitent presque tous les collaborateurs de la Direction Economique. Dans un appartement de cinq pièces ont été accumulés, par le planton Nicolas et le chauffeur Micha, des meubles et des bibelots de toutes sortes. Cela donne l'impression d'un repaire de receleur plutôt qu'un logis de général...

Chabaline a d'abord pris ses repas dans un local appelé cantine du conseil militaire, autrement dit cantine des généraux. Mais actuellement, une nommée Moussia, servante officieuse mais non réglementaire, se rend trois fois par jour en auto de la cantine au domicile du général pour lui apporter ses repas. Il mange donc seul chez lui, sans oser appeler un convive... Quant à la cantine du conseil militaire, il n'est pas question d'y inviter qui que ce soit, surtout des étrangers! La différence entre les mets servis aux généraux et le menu prolétarien n'étant point socialiste.

Le général Chabaline est donc perplexe, mais il lui faut attendre encore quelque temps pour que l'Etat-Major finisse par s'émouvoir. Un jour, le problème a été réglé ainsi: on a créé une sorte de club où les officiers supérieurs russes ont le droit de recevoir leurs collègues occidentaux. Mais, à chaque fois, il faut présenter à l'avance une liste complète des invités. Cette liste soigneusement contrôlée par les services de la NKVD est ensuite visée par le chef de l'Etat-Major. Cette procédure ne ressemble en rien à la formule utilisée par Sir Percy Mills:

– Gentlemen, venez donc déjeuner chez moi!

Et Sir Percy Mills n'oublie même pas le chauffeur Micha.

Mon étonnement ne fait que grandir, car les représentants des nations occidentales ne tentent jamais de nous poser des questions politiques embarrassantes. Je croyais cependant que de semblables questions devaient s'imposer à leur esprit. Mais les Occidentaux continuent à nous manifester une inexplicable indifférence. J'ai cru d'abord qu'ils agissaient par délicatesse. J'ai dû me convaincre qu'il y avait une autre raison.

L'homme moyen d'Occident s'intéresse beaucoup moins aux problèmes politiques que l'homme moyen de chez nous. Le citoyen des pays bourgeois veut savoir combien de bouteilles de Champagne ont été bues à la dernière réception du Kremlin, quelle toilette du soir portait la femme de Molotov. Et dans la plupart des cas, son intérêt se limite aux sports, au cinéma et aux photographies de belles actrices.

Lorsque je lis les journaux étrangers, je suis consterné de voir à quel point ils ignorent tout ce qui se passe en URSS. Certes, nous ne sommes guère plus instruits, nous Russes, sur le monde extérieur. Mais ce qui me paraît extraordinaire, c'est la façon confuse et naïve avec laquelle la presse des Etats Anglo-Américains parle de l'URSS.

Oui, l'Occident ne semble guère comprendre les contradictions monstrueuses de la réalité soviétique. L'Etat soviétique est aujourd'hui une plante dont les racines commencent à pourrir. Le Politburo a commencé, au cours de la guerre, l'installation du système soviétique sur des bases nationales. Depuis la fin de cette guerre, on continue de transfuser dans l'organisme infecté de l'Etat soviétique le sang frais du nationalisme. Ce compromis durera bien encore quelque temps...

Un petit détail caractéristique. Les officiers et les soldats russes de l'armée d'occupation ont tous commencé à employer d'une façon inattendue le mot "Russie". Quelquefois, par vieille habitude, l'un de nous dit encore: "URSS", mais se reprend immédiatement pour dire "Russie".

Depuis un quart de siècle, celui qui employait le mot Russie était invariablement accusé de chauvinisme, conformément à un des paragraphes du code de la NKVD. En lisant même les auteurs classiques, il était d'usage de bafouiller sur le mot. Or, actuellement, il est sur les lèvres de tous nos soldats en Allemagne.

Il semble que, mis en contact avec le monde étranger, nos soldats aient éprouvé, subconsciemment, le besoin de faire une différence entre ce qui est soviétique et ce qui est russe. La presse étrangère prend un malin plaisir à employer les deux mots à contre-sens. Tout ce que nous autres Russes nous condamnons et détestons, est qualifié dans les journaux étrangers du terme "russe". Mais tout ce qui nous est familier et cher depuis des siècles, est par les mêmes appelé "soviétique".

Nous éprouvons de moins en moins l'envie d'expliquer à ces étrangers les dessous réels de la vie en URSS, car nous nous heurtons à trop d'incompréhension, à trop d'indifférence. A quoi bon risquer sa propre peau?... Mais nous nous rendons compte du degré de notre isolement. En voulez-vous un exemple pittoresque?

Au cours d'une réunion de la Direction économique, et après l'interruption des travaux, chacun voulut raconter comment il allait passer le prochain dimanche. Le président de la section de l'industrie, Kozlov, fit un aveu imprudent. Avec un groupe de ses collaborateurs, il avait, disait-il, l'intention d'aller chasser. Les collègues étrangers de Kozlov, séduits par cette idée, exprimèrent le désir d'aller avec lui à la chasse. Et le pauvre Kozlov dut apparemment exprimer sa satisfaction.

Le dimanche suivant, le cortège de chasseurs prit place dans plusieurs voitures, pour se rendre dans les environs de Berlin. Mais en cours de route les voitures des soviétiques firent l'impossible pour s'égarer. Mais les qualités des voitures étrangères, plus rapides, et celles de leurs chauffeurs, connaissant bien la topographie, firent échouer les projets.

Arrivés au lieu du rendez-vous, nos collègues occidentaux s'installèrent sur l'herbe dans le dessein de faire un bon repas et de bavarder en toute tranquillité. Afin d'éviter ce danger, Kozlov et ses collègues soviétiques se dispersèrent dans les buissons. Ruisselants de sueur, affamés, ils rôdèrent toute la journée, maudissant leur sort et épiant le moindre bruit. Et dans la semaine qui suivit, Kozlov rédigea plusieurs rapports à ses chefs, en soulignant l'attitude prudente qu'il avait su garder au cours de la journée.

Peu après, les autorités soviétiques de Berlin eurent un nouveau souci car les journalistes américains qui se trouvaient dans la ville voulurent, coûte que coûte, rencontrer leurs confrères soviétiques. Ces derniers reçurent d'abord l'ordre d'éviter cette rencontre. Mais l'obstination des Américains fut telle qu'il fallut bien les recevoir enfin dans le club soviétique de la presse. Les services de la NKVD de Berlin ont certainement gardé de cette soirée un souvenir de cauchemar.

Les journalistes américains, jadis si naïfs, avaient fait de réels progrès. Ils proposèrent des questions pertinentes et peut-être préparées à l'avance. Si bien que les tricheurs les plus expérimentés de la presse soviétique furent dès le début en état d'infériorité. A chaque question posée, ils préférèrent garder le silence. Et en quittant la réunion, les journalistes américains eurent pour la première fois sur les lèvres le mot NKVD.

Ils s'imaginèrent que leurs confrères russes étaient les victimes de cette NKVD et qu'ils n'avaient osé rien dire parce qu'un dictaphone devait être caché sous chaque table et un espion derrière chaque porte. Si j'avais pu je leur aurais donné une raison beaucoup plus simple: c'est que leurs hôtes étaient eux-mêmes des agents de la NKVD, puisque tout correspondant de journaux de l'URSS à l'étranger est obligatoirement membre d'une section spéciale de la NKVD.

Depuis que mon travail dans le conseil de contrôle m'oblige à des contacts avec des étrangers, je suis bien forcé de changer d'opinion sur le métier de diplomate. Jusqu'alors j'avais cru que diplomate était synonyme de légèreté et d'insouciance. Chemise de smoking d'une blancheur de neige, coupe de Champagne levée sous les prétextes les plus futiles, dames en robe de soirée...

La réalité est tout autre. C'est un métier diablement difficile et aussi diablement fastidieux. Le diplomate doit avoir des nerfs d'acier... Un proverbe anglais que j'ai récemment appris affirme que la meilleure preuve d'une bonne éducation est de s'ennuyer à mourir mais de ne pas le montrer. Le général Chabaline offre quotidiennement à ses collègues occidentaux une vivante confirmation de cette formule.

En recrutant leurs diplomates, les Anglais sont guidés par le principe suivant: l'homme énergique mais peu intelligent ne convient pas à la diplomatie, l'homme énergique et intelligent lui convient moyennement, mais l'homme passif et intelligent fait un excellent diplomate. Les Anglais préfèrent la lenteur qui aboutit à une solution juste et redoutent les décisions spontanées qui peuvent se solder par une erreur.

Pour les Soviets, c'est le principe opposé qui est vrai. Le diplomate soviétique idéal doit être aussi énergique qu'il est bête. Il n'a nul besoin d'avoir de l'esprit puisque de toute façon il ne prend lui-même aucune décision. Mais l'énergie étant la qualité indispensable de tout commis-voyageur, le diplomate russe doit posséder cette qualité jusqu'à l'intem-pestivité. Le général Chabaline est un bel échantillon de cette catégorie de diplomates.

Personnellement, je suis assez sceptique sur la politique des puissances occidentales. Mais je suis obligé de constater avec étonnement que les alliés occidentaux cherchent effectivement des voies d'entente avec nous pour la réorganisation du monde d'après-guerre. Les plans de l'O. N. U. me laissent rêveur mais notre duplicité me laisse plus rêveur encore. J'essaie de trouver des arguments pour apaiser ma conscience.

Je me dis qu'à Potsdam, le Kremlin a su mettre la main sur une grande partie de l'Europe et que maintenant, il doit gagner du temps pour digérer sa proie. Je pense que cette politique correspond aux intérêts nationaux de la Russie... Mais c'est tout! Mes arguments me paraissent faibles, mes illusions aussi. Tout en n'étant ni diplomate ni politicien, je commence à croire que notre collaboration avec le monde occidental ne sera que de très courte durée.

Avec une obstination digne des alchimistes du Moyen Age, les représentants de l'Occident essaient de trouver un magique modus vivendi avec le Kremlin. Quand ils rencontrent un obstacle, ils parlent des particularités de l'âme slave et fouillent dans les vieux parchemins de l'Histoire Russe. Mais aucun n'a idée de jeter un petit coup d'œil dans les ouvrages de Lénine et de Staline tirés pourtant à des millions d'exemplaires. L'un de mes camarades me disait, alors que j'étais encore à Moscou:

"Les étrangers ignorent la célèbre phrase dont nos chefs se servent chaque fois qu'ils sortent de la ligne générale du parti: Un repli provisoire est pleinement justifié lorsqu'il nous permet de réorganiser et de grouper nos forces en vue d'une offensive future. C'est ainsi que la ligne générale du parti se tord parfois comme un serpent."

Si j'étais chargé de l'éducation des diplomates occidentaux, je leur ferais apprendre les bases du marxisme léninisme. Ils bafouilleraient moins quand ils seraient en face de leurs collègues soviétiques.


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